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Péripéties d'une maman solo, épisode 11 (Le vol des cygnes)

Samedi 4 décembre 2021


Cher Journal,


Encore une année qui s’achève… Je n’en reviens jamais des mois qui défilent à toute allure ! 2022. Ça sonne plutôt bien, tous ces deux. Mais bon, espérons surtout que 2022 sonne le début d’une certaine accalmie, pas vrai… ?!


J’ai fait une rencontre un peu hors du temps lors de mon dernier séjour en France, et il fallait absolument que je te raconte. Ça ne pouvait d’ailleurs pas mieux tomber pour finir l’année, parce que c’est un peu ambiance « conte de Noël » ! Bon, il n’y aura pas de neige. Et pas de sapin. Ni de cadeaux. Mais tu verras…


Nous sommes très exactement le 29 octobre, et il fait splendide. Comme j’ai vu qu’ils annonçaient de la pluie pour tout le week-end (eeeeh oui, il fait moche aussi, parfois, dans le Sud), je suis bien décidée à profiter à fond de cette journée : petit tour au marché de Valbonne avec mon oncle et ma cousine en fin de matinée, et là, milieu d’aprèm, nous hésitons. Cap d’Antibes ? Fort Carré ? Comme l’après-midi est bien entamée, nous optons pour le Fort Carré, plus proche.



Une fois au bord de mer, nous avons du mal à trouver une place pour nous garer (plutôt étrange, en cette saison peu touristique). Nous nous retrouvons au port, et arrivons ainsi par l’autre côté que celui que nous empruntons habituellement (et au final, c’est même plus joli !).


Je tiens d’ores et déjà à te dire que chaque détail a priori insignifiant a son importance… (T’as vu comme je sais instaurer un suspense de dingue ?! Je sais, je sais, c’n’est pas donné à tout le monde…)


On se met en marche sur le sentier de la balade.

J’entends au loin toute une série de sons semblables à des carillons, et me demande d’où cela provient. Un peu en contrebas, une centaine de petits voiliers sont amarrés, et je me rends compte que c’est le vent qui joue le chef d’orchestre : les haubans cognent les mâts, produisant des sons différents selon leurs tailles. Un véritable concert… C’est magnifique ! (Tu sens la magie de Noël arriver ? Car oui, à cet instant précis, tu dois imaginer que ces incroyables sons produits par les mâts nous font entrer dans une sorte de monde parallèle, à la « Noël de Monsieur Scrooge ».)



Le chemin continue à longer la mer et on repère au loin un catamaran sur lequel est indiqué « 007 », avec pas mal de monde à bord. J’avoue que ça nous intrigue ! Daniel Craig a depuis longtemps terminé le tournage du dernier volet de sa carrière, mais sait-on jamais ! On va peut-être découvrir en avant-première son remplaçant !!

Mais non. Google (rabat-joie !) nous renseigne qu’il s’agit d’un voilier de course, du nom de Comanche.



Au moment où l’on redémarre, on tombe sur un vieux monsieur qui semble vouloir papoter un peu. Il doit avoir dans les quatre-vingts, quatre-vingt-cinq ans. Son « look » (oui, entre guillemets) m’attendrit immédiatement. Tu me connais, je suis une grande sensible…

Assez grand, un peu voûté avec le poids de l’âge. Un pull « Tex Avery » élimé. Un appareil photo vissé autour du cou. (Pas certaine que ce soit un numérique.) Une casquette des « Charlotte Hornets » sur le crâne. Ce détail me fait sourire, parce que mon frère avait exactement la même, l’année où nous avons vécu aux États-Unis, il y a trente ans. Et à en juger par son aspect, elle doit avoir au moins le même âge.


Sans doute a-t-il entendu notre conversation au sujet du 007 et qu’il a sa petite anecdote sur le sujet. Eh bien, pas du tout. Armé de son appareil photo, il chasse la vague ! Et il est déçu ! C’est qu’on avait annoncé une mer déchaînée, des rouleaux, et il n’a droit qu’à quelques vaguelettes, pas vraiment dignes de ce nom.

Il a raison, en plus. Le vent semble nettement plus fort que les vagues qu’il produit.


On parcourt quelques mètres ensemble, en discutant de la pluie et du beau temps. Il nous demande si on vient de Belgique (moi qui pensais avoir un accent raisonnable, une fois). On confirme, mon oncle explique qu’il vit même en France depuis plus de trente ans, et qu’on pense parfois qu’il est anglais. (Je t’épargne toute tentative d’explication à ce sujet, parce que je ne vois pas trop comment on peut confondre un accent belge francophone avec un accent anglais…)


« Ah, eh bien, dans ce cas, on est trois Belges ici ! »


Bien entendu, on s’exclame, oh ben ça alors, quel hasard quand même, c’est trop drôle !


Il nous explique qu’il habitait à Jette, et qu’il a rencontré sa femme Porte de Namur (à Bruxelles, donc, pour mes amis français qui liront mon Journal – d’ailleurs, à propos, c’est pas bien de fouiller dans les tiroirs !). Que cela fait cinquante ans qu’il habite en France. Qu’il aime la variété des paysages de la région (je plussoie !). Qu’il adore la mer.


Notre attention se reporte sur les vagues, toujours un peu décevantes.


Il nous dit alors : « Une dernière chose, et je vous laisse tranquilles. Vous savez ce que j’ai fait, la dernière fois où je suis allé en Belgique ? »

À ce moment, soyons honnêtes, je m’attends à quelque chose du style : « J’ai mangé des frites et elles sont quand même vraiment meilleures en Belgique qu’en France, hein ! » (Parce que oui, là, désolée, mais il n’y a aucun débat possible.) On aurait bien ri tous les trois devant cette évidence sans nom et on aurait repris le cours de nos vies.



Mais non.


« Vous voyez ça ? »

Il nous montre la bague qu’il porte à l’annulaire, à côté d’une alliance identique, à son majeur. On ne comprend pas tout de suite. On met les pieds dans le plat.

« Ah, vous vous êtes (re ?)marié ? »

(OK, j’avoue, ça ne fait pas trop sens avec les deux bagues.)

« Non. J’ai aidé ma femme à mourir.

- Oh… »

Et nous voilà, comme deux ronds de flan, face à ce vieux monsieur qui se met à nous déverser son âme.


Je peux te dire que quand tu t’attendais à parler fricadelles et frites – sauce tartare, ça décoiffe ! On ne s’attendait pas à ce qu’il nous ouvre son foyer et sa confiance. On est hyper touchés par cet épisode de vie douloureux qu’on se prend en pleine face (et en plein cœur).


Il nous raconte que sa femme était atteinte d’un cancer incurable et souhaitait mourir… Il nous raconte comment ils étaient revenus en Belgique. Pour se renseigner, d’abord. Comment ils avaient retrouvé leurs quartiers d’enfance. Que tout avait tellement changé. Qu’on lui parlait en néerlandais à l’hôpital, mais qu’heureusement, les médecins étaient gentils et avaient compris qu’ils ne le parlaient pas. Qu’après plusieurs rendez-vous, ils avaient finalement pris la décision. Que le Jour J, il était à ses côtés. Qu’ils s’étaient regardés jusqu’au bout, que sa bien-aimée lui avait souri, et puis que sa tête avait basculé et que c’était fini. Que ça fait deux ans maintenant.


« La laisser partir est la plus belle preuve d’amour que je lui ai faite. »


Des larmes coulent le long de ses joues. (Enfin, plus précisément, disparaissent sous son masque.)

Je me retiens à grand-peine. (Inspiiiiire, expiiiiire…)


Alors, ça existe encore, un amour inconditionnel tel que celui-là ?


Il sort son portefeuille et nous montre avec fierté une série de splendides photos de sa femme. J’aurais aimé pouvoir te les montrer, car elles reflètent tout l’amour qu’éprouve cet homme.


On parvient à bredouiller quelques mots.

« Rho là là… Comme c’est dur… Quel courage vous avez eu… Elle était vraiment magnifique, votre épouse… »


Il finit par nous dire que, allez, il retourne chasser la vague, bonne balade et à une prochaine, et se dirige vers les petits sentiers qui approchent la mer d’un peu plus près. On se remet à avancer, un peu sonnés. Et alors qu’on commence à débriefer sur cette rencontre improbable, on est surpris par quatre cygnes blancs qui longent la côte à basse altitude, frôlant la mer, majestueux.

Franchement, sur le coup, on a juste l’impression que sa femme vient lui faire un petit coucou pour lui dire qu’elle aussi, elle l’aime et qu’elle veille sur lui ! (J’apprendrai d’ailleurs plus tard que dans de nombreux contes, les femmes se réincarnent en cygne…)


Tout ça mis ensemble, on était un peu en mode « WTF ?! » Je me retourne pour voir si le monsieur a vu ça (et vérifier quand même qu’il ne vient pas de se transformer en cygne… au point où on en est !).


Sur le chemin du retour, il est toujours là, près de la mer avec son appareil. Il lève la tête et nous voit. Je lui souris et lui fais un signe de la main qu’il me rend. Il remonte le sentier, l’air de rien, pour nous croiser à nouveau. Nous sommes contents de pouvoir échanger encore quelques mots, plus anodins cette fois, mais qui lui prouvent qu’il nous a touchés.


Peut-être qu’il avait eu peur de nous avoir embêtés avec ses histoires. Alors que pas du tout, au contraire. On a été bouleversés et oui, on a parlé de ça tout le reste de la balade, mais en parlant des signes du destin et du hasard des rencontres.


Le jour commence à tomber, nous reprenons chacun notre route, et je lui dis de prendre bien soin de lui.



Quand je remets tous les éléments bout à bout, le fait qu’on ait décidé en dernière minute d’aller au Fort Carré plutôt qu’au Cap d’Antibes, qu’on se soit garés ailleurs, ce qui nous a fait perdre du temps et arriver par un autre côté, le bruit du vent dans les mâts, cette rencontre, la confiance et la sympathie qu’on a vraisemblablement inspirées à ce vieil homme, le vol des cygnes… je ne peux m’empêcher de me dire qu’il existe encore un peu de magie dans ce monde. Qu’il faut parfois garder les yeux grands ouverts pour voir au-delà de tous les connards. (Pardon de briser la poésie, mais c’est vrai…)


C’est le genre de rencontre qui remplit ta journée d’humanité. Et ça fait un bien fou.



C’est bientôt Noël, alors… c’est le moment de garder les sens en éveil ! Tu me raconteras !



À pluche !



C.



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