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Dernière mise à jour : 1 nov. 2020

(NDLR : J'ai rédigé cette nouvelle en 2012, dans le cadre d'un concours dont le thème était "entre chien et loup".)



La vitrine me renvoie un reflet peu flatteur. Je dénote à côté des mannequins de luxe. Vive Sein Laurent ! Je tente de dompter un épi rebelle. Sans succès. Rajuste ma cravate miteuse. Après sept ans, on perd la main.

Sept ans. Depuis qu’ils m’ont viré. Renvoyé. Congédié. Licencié. Jeté comme une vieille chose sèche. Remercié. Remercié ? Remercié… Merci pour vos loyaux services. Merci pour votre précieuse contribution. Merci pour votre engagement sans faille. Merci de partir. Sans histoire. Merci de moisir. Sans déranger. Dans l’ombre. A l’abri des regards.

La symphonie des derniers rayons du soleil et des premières lueurs de la ville ne fait qu’aggraver mon cas. Tant pis. Je lisse mon pantalon. Ringard. Epoussette la chemise. Sans formes. Dépareillés. Empruntés dans la benne des P’tits Riens.

Après tout, je n’suis plus grand-chose.


Pierre – 43 ans – SDF – pas trop laid, si on gratte les croûtes. Ça, c’est moi. Dans la vraie vie. Celle qui pue. Qui est moche. Triste. Des gueules lasses.

Pierre-Emmanuel – 43 ans – Cadre – Lieu de résidence : Bruxelles – Intérêts : les nuits à la belle étoile, les lieux inédits, la cuisine exotique. Sans commentaire… Ça, c’est moi. Sur Facebook.

Dans vingt-huit minutes, j’ai rendez-vous. Sandrine – 38 ans – assistante commerciale – Lieu de résidence : Bruxelles – Intérêts : aime lire, sortir en boîte, voyager, faire des rencontres insolites. Pour le coup, elle va pas être déçue. Lol, MDR, et consorts.

Je sors mon Smartphone de ma poche. Oui. Je sais. J’en suis pas fier. Faut dire, quelle conne, l’autre, aussi ! Sac à main grand ouvert ! Servez-vous, c’est happy hour ! Merde, quoi ! Il était prêt à tomber l’engin ! Un pote a dégoté un chargeur. Une carte rechargeable. Validité : un an. Cinq cent vingt-cinq mille six cents minutes de liberté. Depuis, on partage. Moi, le Smartphone. Lui, le chargeur. Le parasite et son autre. On localise un hotspot. On s’réchauffe l’esprit. On branche. On allume. On connecte. On s’cache. A tout prix. Décollage imminent. Effet immédiat. Héroïne dans nos synapses. Au loin, vies de merde ! A nous le monde ! A nous les cons sexes ! Bref. J’ai rendez-vous avec Sandrine. Grand Place. Roi d’Espagne. J’hésite. Charles II m’observe. Imperturbable. Rougeoyant sous l’astre couchant. Je franchissais cette même porte, avant. D’un pas assuré. Sans saluer la serveuse. Comme un coq. Remontais le col de ma chemise. Accueillais ma poule avec l’assurance d’un jeune paon. Je franchissais cette même porte. Sans saluer la serveuse. Sans voir le pauv’ type qui faisait la manche. Qui moisissait. Sans déranger. Dans l’ombre. A l’abri des regards. Avant. J’entre. La serveuse me toise. Fronce les sourcils. Ne dit rien. Je m’installe, près de la fenêtre. Sandrine va arriver. Notre premier rendez-vous dans sa vraie vie. Sur Facebook, j’la fais rire. J’l’écoute écrire. Elle aime ça. Mignonne. Sur ses cent photos. A croquer. Moi, c’est sans photo. La voilà. Pimpante. Elle fait pâlir le monarque, terne, à présent, sans l’aide du tout puissant. Elle parcourt la salle des yeux. J’me lève. Une semaine d’économie cliquette au fond de ma poche. Ses yeux balayent ma personne. La traversent. La renversent. Finissent par revenir. Se plantent sur moi. S’ouvrent un peu plus grand. Je souris. Réaction zéro. Ça flaire. Ça pue. Ça sent la merde à plein nez. - Pierre-Emmanuel ? - Salut. J’sais pas quoi dire. J’me sens con. Ou plutôt, j’me sens pénis. - Sandrine ? Elle acquiesce. Hésite. S’assied. Sans me faire la bise. Déception incrustée sur son beau minois. Oui, putain. Je sais. Mais j’veux y croire. J’suis quelqu’un d’bien. D’intelligent. J’ai fait un effort. Mis une cravate, cette fois. Me suis débarbouillé à l’évier pourri d’la Gare Centrale. Tentative veine. Utopique. Son joli nez constellé de taches de rousseur se retrousse. Elle a l’air de m’en vouloir. - Alors, comment vas-tu depuis hier ? - Ça va. Silence. - T’as trouvé facilement ? - Oui, oui. Sans problème. Elle évite de me regarder. S’intéresse aux tables voisines. A la carte. Aux passants. - Qu’est-ce que tu bois ? - Un Coca light. - Autre chose ? - Non, merci. J’ai envie d’hurler. Mes poumons se remplissent. Je serf l’aidant. Mais laisse-moi une chance, bordel ! C’est moi, l’type avec qui tu discutes depuis des mois ! Les cris se noient dans mon grossier. Les mois passés, chimères. Sandrine se contente de répondre à mes questions par des monosyllabes. Silences gênés. Gênants. La serveuse amène nos boissons. Le café ? Pour Monsieur. Le Coca light ? Pour Madame. Ma dame l’aphone. Se lève. - J’vais y aller. - J’te raccompagne ? Sandrine s’empare de son sac à main. Sandrine l’agrippe. Sandrine explose. Sanguine. - Ouais, c’est ça ! Et puis quoi ? Tu me violes dans un coin sombre ? Sandrine me jette un regard assassin. Ah ! Ses seins... - Pauvre con ! Pauvre pénis.

Et la voilà partie. En trombe. Je reste sans voix. La regarde s’éloigner d’un pas vif. Les réverbères illuminent G-Star qui joue le métronome sur son p’tit cul. Alors là. Putain. Ça décoiffe. J’m’attendais quand même à… A quoi, au juste ? De la compassion. De l’humanité ? De la profondeur ! Merde, quoi ! Quatre mois qu’on discute sur Facebook ! Elle m’a même pas laissé une chance ! Traité comme un prédateur sexe à elle ! J’l’entends d’ici, l’histoire qu’elle va servir à ses copines. La fois où elle a failli s’faire agresser. Par un de ses contacts Fessebook. Elle sera la star du moment. Passera au JT d’vingt heures. Et moi, la pauv’ bite, j’me ferai arrêter pour attentat à la pudeur ! Mais bordel, j’ai aussi été quelqu’un, moi, avant de naître personne ! Je sors mon Smartphone. Me connecte. Au Roi d’Espagne, on offre le wi-fi à ses clients, ah, ça, oui, Madame ! Déjà baqué de ses contacts. Vive la technologie moderne. Baqué ! Relégué ! Classé verticalement ! Viré ! Remercié ! Merci d’avoir été là ! Merci de m’avoir écoutée ! Merci de m’avoir fait rire ! Merci de dégager ! Sans histoire. Merci de moisir ! Sans déranger. Dans l’ombre. A l’abri des regards. J’me tire. J’espère qu’elle marchera dans une grosse merde de chien, tiens, la pouffe ! Enorme. Bien puante. Bien coulante. Avec ses escarpins vernis. Je sors mes piécettes. Appelle la serveuse. Elle me dévisage avec mépris. Pierre-Emmanuel a eu la dose. - Y a un problème ? Elle baisse les yeux. Je jette ma mitraille sur la table et me casse. Ils me font rire moi, avec leurs grands discours de réinsertion ! On n’échappe pas au regard des autres. Lui seul est juge. Lui seul vous vire, vous relègue, vous classe verticalement, vous remercie. Avec le sourire. Ou sans. Marcher un peu. Prendre l’ère. Dans les rues de la ville. De ma ville. Grand Place. Rue Neuve. De Brouckère. A l’heure où les diurnes se barrent. Où le rose-orangé devient pourpre. Où les ombres dissimulent les croûtes. Rejoindre mon coin. Mon coin. Au sens propre du terme. Ou plutôt, au sens sale. Mon coin, Gare Centrale. Celui qui pue la pisse. La merde. La misère. Chacun son coin. Partie intégrante du tri sélectif. Je place mes cartons, tire ma couverture. Mon lit douillet. Doux, y es-tu ? Ici, le Smartphone reste au fond de ma poche. Ici c’est ma vraie vie. Ils me tueraient. Au sang propre. Je sors une feuille pliée en quatre. Sale. Chiffonnée. Je la déplie. La parcours des yeux.

Sophie

Clémente

Annabelle

Sandra

Bérénice

Justine

Eva

Olivia

Sandrine

A ton tour. Je rature son nom. Avec véhémence. La pute ! Avec agressivité. J’en troue le papier. Merde ! Qu’elle crève ! Mes yeux se posent sur le nom suivant. Anna Ça sonne bien, Anna. Ça sonne gentil.

Dans deux jours, j’ai rendez-vous. Anna – 39 ans – responsable de vente. Facebook. I like.



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