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Le cœur a ses raisons...

Dernière mise à jour : 1 nov. 2020

(NDLR : J'ai rédigé cette nouvelle il y a quelques années, dans le cadre d'un concours. Elle a été retenue parmi les dix meilleures et figure dans un petit recueil intitulé "Game Over". Bonne lecture !)



J’agite la main avec frénésie.

- A demain, mes amours ! Amusez-vous bien !

J’envoie des dizaines de milliers de bisous en direction de la voiture, tandis que celle-ci s’éloigne dans la rue. Je sautille pour apercevoir une dernière fois la main de mon trésor, puis demeure immobile sur le seuil. On sent le soir tomber malgré la luminosité tardive de cette splendide journée de juillet.

La dernière expérience remonte au début du mois. Mon mari et mon fils s’étaient absentés pour la soirée. Je n’avais dû tenir que trois heures. Mon psy estime qu’il est temps de passer à l’étape suivante.

Le planning est prêt : bain moussant-relaxant, pyjama-peignoir, dvd, chocolat chaud, couverture en doudou, lecture et dodo. Avant minuit. Après minuit, rien n’est pareil.

Je ferme la porte et, sans m’attarder, remonte en direction de la salle de bains. Mon Femme d’Aujourd’hui est posé sur le bord de la baignoire, à côté de l’huile aux vertus apaisantes. Je programme le thermostat sur quarante degrés et fais couler l’eau. J’ajoute l’huile miracle, m’assieds dans le bain. Je feuillette, tourne les pages, consulte les derniers conseils sur la manière de rendre un homme fou au lit et repose le magazine. Je m’allonge, tente de me relâcher mais l’odeur de la lavande est écœurante.

- Je vous assure, cette huile est faite pour vous !

Tu parles ! Merci, Yves Rocher, pour vos excellents conseils...

Une épaisse buée recouvre la vitre. La porte est dans mon dos ; je me sens mal à l’aise. J’écourte ma séance de relaxation ratée, et coupe l’eau alors qu’elle ne me couvre pas le ventre.

La suite du programme se déroule comme prévu : je m’esclaffe aux feintes à deux balles d’une gentille comédie romantique, bien au chaud sous ma couverture. Je ne loue jamais de comédie romantique. Je suis plutôt film d’action à suspens. Une fois seule, la femme forte que je suis se transforme en mauviette geignarde.

Ultime épreuve. Je me pelotonne dans mon lit et m’empare du dernier roman à sensation. Mes yeux picotent de fatigue. Je capitule. J’éteins la lumière. Vingt-trois heures dix-sept. Parfait. Je soupire et me laisse aller contre mon oreiller.

Je me réveille en sursaut, le cœur affolé. Boum… Boum… Boum… Boum… Gérard, le berger allemand de ma voisine quinquagénaire, aboie à tout rompre. Mon état de somnolence m’indique que la matinée est loin d’être grasse. Deux heures trente-sept. Restons calme. J’attends le martellement familier des pas de Bérénice dans l’escalier voisin. Son compagnon à poils brame de plus belle. Elle n’a décidément pas envie de se lever. Je respire un grand coup, me retourne et repose la tête sur le coussin.

Gérard ne se tait pas. Mon ouïe est aux aguets et mon état de sommeil passe de demi à zéro. Que fait-elle, nom d’un chien ? Un bruit sourd met fin au tintamarre. Bizarre, je ne l’ai pas entendu descendre. Je remonte l’édredon contre ma joue et tente de me replonger dans les bras de Morphée. Pas évident, lorsque la conscience a repris le dessus. Mes sens se réveillent, un à un. Quelque chose me chipote, me titille, m’empêche de me rendormir. La panique monte. Je ne l’ai pas entendu descendre. Je me tourne, me retourne. L’espace d’une seconde, l’agacement prend le dessus. J’avais réussi à m’endormir ! Seule ! Et voilà que ce foutu clébard anéantit tous mes efforts ! J’allume ma lampe de chevet et me rend dans la pièce voisine pour boire un peu d’eau. Il y a du vent dehors. Les branches des arbres dansent en ombres chinoises sur les volets de ma salle de bains. Cette ambiance ne me plaît pas.

Soudain, le franc tombe… Et je me fige. Le picotement familier d’une sueur froide prend naissance dans le bas de mon dos. Elle s’infiltre, sournoise, dans chacune de mes vertèbres, de la lombaire à la cervicale, termine sa lente ascension au sommet de mon crâne. Mes cheveux se hérissent un à un. Mon rythme cardiaque prend quarante pulsations…

Elle n’est pas là. Bérénice. Elle est en vacances. Jusqu’à dimanche. Je relève la tête et scrute mon reflet. Dois-je l’appeler ? Peut-être est-elle rentrée plus tôt que prévu ; l’hôtel était moche, ses voisins de chambre bruyants, la nourriture exécrable ? Dois-je téléphoner aux flics ? Pour leur dire quoi… ?

Les silhouettes des épicéas se font menaçantes. Je sors de ma pétrification et entrouvre les volets. Un craquement résonne dans mon dos. Je fais volte-face, le souffle coupé. La porte vient de bouger. La terreur m’envahit. Il y a quelqu’un. Mon cœur bat trop vite dans ma poitrine. Mes muscles se paralysent. Mes yeux exorbités fixent la porte.

Les minutes s’écoulent. Je reste en état d’alerte. Je retiens mon souffle, m’approche pas à pas de la porte et l’ouvre d’un coup sec, prête à crier. Personne. Je jette un coup d’œil rapide dans toutes les directions. Calme plat. J’allume dans chacune des pièces de l’étage. J’ouvre les penderies et sursaute alors qu’il n’y a rien.

Je finis par regagner ma chambre, mon lit. Je laisse la lampe de chevet allumée et analyse la situation. Gérard a pu se cogner. Gérard a pu heurter un objet. Gérard a pu s’effondrer de tout son poids de berger allemand sur le sol. La fille de Bérénice a peut-être décidé de passer la nuit pour lui tenir compagnie. Mon niveau d’alerte passe de cinq à quatre virgule sept. Je me concentre une nouvelle fois sur ma respiration et referme les yeux.

CRRRRRAC ! Toc… Toc Toc Toc…

Je me plaque les mains sur la bouche pour ne pas hurler. Quatre heures sept. Mon cœur reprend son rythme endiablé. Mais-qu’est-ce-que-c’est-que-ce-bruit ? Ca vient du grenier. Juste au-dessus de ma chambre. Non, je ne veux pas revivre ça. Pas durant ma nuit test. Pas maintenant que j’ai pris le courage de franchir le pas. Peut-être qu’un animal s’est introduit par la lucarne cassée ? Un oiseau ? Une souris ? Un rat ? Oui, un rat ! Pitié, un rat !

J’en ai vu des films d’horreur. Des films à suspens. Avec mes copines. Avec mon mari. Ces films dont on loupe la moitié, planqués derrière un coussin. Ces films où l’on glousse d’adrénaline. Ces films où l’on jouit de sa propre peur car on sait qu’on peut la couper à tout moment…  Je suis tétanisée. Est-ce le moment d’appeler les flics ?

Si je savais encore bouger, peut-être, oui. Sauf que le téléphone est en bas. Et que je n’ai jamais voulu de GSM parce que ces enquêtes débiles nous font croire que les ondes sont mauvaises pour la santé ! Comment ai-je pu être aussi conne ???

Je dois me planquer au fond de mon lit et attendre que ça passe. Ou dévaler l’escalier pour m’encourir dans la rue ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Aucun membre ne semble m’obéir. Je vais rester sous la couette et attendre demain matin, que mon mari revienne avec mon f…

Boum… Boum… Boum… Boum…

… avec mon fils. De trois ans. L’innocence incarnée. Pur comme la neige. Mon ange. La prunelle de mes yeux. Le petit être de ma vie. Il lui fera quoi, le voleur, l’assassin, le psychopathe, s’il est encore dans mon grenier au moment où ils rentrent ?

Je me force à m’extirper de mon lit. Chacun de mes muscles risque la crampe. Je reste debout, près de la porte. Je ne respire plus. J’épie le moindre bruit. J’ouvre la porte. Elle grince. Je grimace.

CRRRRRAC ! Toc… Toc Toc Toc…

Mes jambes me lâchent, je m’effondre sur le sol. Mes orbites roulent dans toutes les directions, à l’affût d’un mouvement dans cette obscurité oppressante. Je m’enfonce le poing dans la bouche. Ne perds pas la tête. Ne perds pas la tête. Ne perds pas la tête.

Mon corps est secoué de tremblements incontrôlés. Je dois me relever. Aller chercher le téléphone. Qui est juste en bas des escaliers. Je peux le faire. Je me penche et aperçois la base. Vide. Le téléphone peut être n’importe où. Pilou l’a caché, c’est son nouveau jeu. Et le voyant lumineux m’indique que la batterie est plate. Sortir d’ici. Sortir d’ici. Sortir d’ici ! Et s’il revient une autre nuit, quand ma famille est là ? Et si son complice attend dehors ? Je ne peux pas prendre ce risque.

Il me faut une arme. Je retourne dans ma chambre et saisis le premier objet à portée de main. Une bouteille d’eau. Super. Je la rejette. Le bruit du plastique qui se fracasse sur le sol paraît assourdissant. Je me pétrifie. Une tapette à mouche. Génial. De la laque. Un paquet de Chokotoff !! Où sont mes ciseaux, bon sang ???

Je vais mourir ! Laisser un petit garçon de trois ans seul avec son père ! Je m’empare d’un morceau de papier. Je trouve un crayon sur le bureau et griffonne quelques mots, à la va-vite.

Mon amour,

Je crois qu’il est revenu. Il a dû m’épier, attendre, depuis sa sortie de prison, que je me retrouve à nouveau seule. Il veut se venger, me faire revivre mon calvaire. Il a déjà tué Gérard et a pénétré dans le grenier, sans doute par la lucarne. J’aurais dû la faire réparer, tu avais raison. Occupe-toi bien de notre petit ange et dis-lui que je l’adore.

Je t’aime

C.

Les larmes aux yeux, je fourre le papier sous l’oreiller de mon mari et aperçois la batte de base-ball qu’il conserve depuis des années, parce qu’on ne sait jamais. Je m’en empare et sors sur le pallier, l’arme en garde. Le bruit, répétitif, trop répétitif, a refait place à un calme sordide. Il fait noir. Je me sens observée, scrutée, toisée. Je pivote, prête à faire usage de ma matraque improvisée. Je braque à gauche. Braque à droite. Frappe la batte dans le vide. Rien. Nada. Le silence. Je secoue la tête, à la recherche d’une explication rationnelle, qui ne vient pas.

Je dois en avoir le cœur net. Je n’ai pas d’autre choix. Je gravis l’escalier, d’un pas lent. Malgré mes précautions, le bois craque. Je m’enfonce dans les ténèbres. Je m’arrête à mi-chemin. Qu’est-ce que je fous ici ? Courir, loin, loin, loin ! Mes jambes n’obéissent pas et reprennent leur ascension. Elles appartiennent à quelqu’un d’autre. Je suis à trois marches de la porte du grenier. Pas un son ne s’en échappe. Je colle mon oreille contre la porte.

CRRRRRAC ! Toc… Toc Toc Toc…

Je hurle. De toutes mes forces. Dévale les marches quatre à quatre. Je hurle encore. M’enferme à clé dans ma chambre. Je ne peux respirer assez vite. Besoin d’air. Encore. Encore. Encore. Boum… Boum… Boum… Boum… Je me sens au bord de l’évanouissement. Mon cœur n’en peut plus. Je pleure. De toutes mes forces. Pourquoi n’a-t-on pas pris cette extension de la ligne fixe pour laquelle Belgacom nous harcèle depuis des mois ?

- Un téléphone à chaque étage, sans frais supplémentaires, Madame, c’est très utile ! Evidemment que c’est utile ! Putain, j’vais mourir parce que j’ai remballé la collaboratrice de Belgacom !

Encore cet horrible craquement. Qu’est-ce qu’il fabrique là-haut, ce psychopathe ? Ca ne peut être que ça. Un psychopathe qui rend ses victimes folles avant de les réduire en charpie. Un psychopathe qui répète avec exactitude le même bruit. Sans faillir. Jusqu’à ce que sa victime le supplie de la tuer. Oui, ça ne peut-être que ça. Finissons-en. Ce sera lui ou moi. Il faut qu’il parte d’ici.

J’ouvre la porte de ma chambre. Mon corps est secoué de spasmes. Le peu de raison qui habite encore ma tête veut me tirer en arrière. En vain.

Je me force à gravir les marches en silence. A quoi bon ?

J’ai pris ma batte avec moi. Et aussi ma paire de ciseaux, je l’ai retrouvée. Et ma lime à ongle, ça peut toujours servir.

CRRRRRAC ! Toc… Toc Toc Toc…

Ah, tu veux jouer, sale type ? C’est bon, j’arrive.

Tu ne toucheras pas à un cheveu de mon fils.

Ni à un poil de mon mari.

Tiens, déjà en haut… ? Est-ce que ça fait mal de mourir ?

La mère tigresse prend le dessus. Mon corps se recroqueville en position d’attaque.

Finissons-en. Lui ou moi.

Mon cœur tente de s’échapper de ma poitrine.

Il veut sortir.

Ne veut pas voir ça.

Je sors les crocs.

Lève ma batte.

Mets ma main sur la poignée.

L’agrippe.

La serre.

Un hurlement jaillit du plus profond de mes entrailles.

J’arrête la batte, en transe, à cinq centimètres du visage ému, presque désolé.

- Tu es guérie, ma chérie…

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